Chapitre 42

Victimaire

Valéri Sonolovitch avait enfin réussi à trouver le sommeil lorsqu’un martèlement persistant lui fit ouvrir les yeux. Quelqu’un lançait des cailloux sur la maison ! Il descendit du lit, enfila son peignoir et sortit de sa chambre en même temps que le père Collin quittait la sienne. Dehors, il pleuvait à verse.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda le vieux Russe.

— Je n’en ai pas la moindre idée, mais j’ai déjà vécu dans des pays où le mal se manifestait de cette façon.

Pour en avoir le cœur net, le jésuite alluma la lumière du porche et ouvrit prudemment la porte.

— Alex ? s’étonna-t-il.

L’homme-loup se tenait au milieu de l’allée, haletant et trempé jusqu’aux os.

— Je suis venu voir le Vengeur.

— Est-ce que tu as bu ?

Alexei secoua la tête à la négative.

— Tu sais pourtant ce que tu risques en venant jusqu’ici, s’en mêla Valéri en apparaissant à côté du père Collin.

— Faites ce que vous avez à faire, le supplia Alexei.

— Pourquoi es-tu si pressé de mourir, tout à coup ?

— C’est trop long à expliquer…

— Je veux le savoir, insista le vieux Russe.

— Si je meurs maintenant, le sorcier n’aura aucune raison de tuer ceux que j’aime. C’est la seule façon de les sauver.

— Ce que tu dis m’étonne beaucoup, Alexei. Les fées mâles exécutées par les Vengeurs n’ont jamais éprouvé le moindre sentiment envers leurs semblables, mais toi, tu te soucies de leur survie ?

— Je ne suis pas ici pour bavarder avec vous. Finissons-en.

L’homme-loup marcha résolument à la rencontre de son exécuteur et réussit à se rendre jusqu’à lui sans prendre feu.

— Pourquoi ne suis-je pas mort ? s’étonna-t-il.

— Ce n’est peut-être pas toi que je suis venu punir, après tout… Entre.

Alexei lui obéit, mais resta sur le tapis de l’entrée. Le père Collin déposa un drap de bain sur ses épaules et le laissa sécher un peu. Fatigué, Valéri alla s’asseoir sur la chaise à bascule.

— Ta sœur t’aime beaucoup, jeune homme, déclara-t-il. Elle t’a protégé, même en sachant le danger que tu représentes pour elle.

— Je ne connais pas grand-chose de cette légende, avoua Alexei. Je sais seulement que je finirai mes jours dans les flammes, parce que ma mère me l’a répété pendant toute mon enfance.

— Peut-être es-tu né pour modifier la prophétie. Si tu avais été un véritable sorcier, tu aurais tenté de me tuer à mon arrivée au Canada ou tu serais déjà rendu à l’autre bout du monde. Je ne sais plus quoi faire de toi.

— Peut-être aussi que vous êtes trop vieux pour faire brûler quelqu’un.

Valéri éclata d’un rire franc qui surprit l’homme-loup.

— Vous pourriez vous servir d’un fusil, suggéra-t-il, incapable de comprendre la raison du plaisir qu’éprouvait le Vengeur.

— Je ne suis pas un meurtrier, mon petit. Je ne fais qu’exécuter la volonté de Dieu. C’est lui qui se sert de mon corps pour enflammer celui des gens méchants. Il n’est pas question que je le défie en te tuant s’il ne veut pas le faire lui-même.

— Mais je ne veux pas que mes amis soient sacrifiés à cause de moi…

Le père Collin poussa Alexei jusqu’à la table où il le fit asseoir devant une tasse de thé bien chaud.

— Tu es le premier enfant mâle de la lignée des Ivanova à concevoir un enfant, fit remarquer Valéri. Est-ce que tu le savais ?

— Non… je suis si ignorant…

— Les sorciers ne protègent pas leur compagne et leurs futurs bébés comme tu le fais.

Alexei tendit la main vers le comptoir et le sucrier s’envola jusqu’à lui.

— Et ça ? demanda-t-il, avec un air de défi.

— Ce n’est pas un pouvoir uniquement réservé aux sorciers. Les fées le possèdent aussi.

— Je peux également faire tomber la foudre et forcer les autres à se plier à ma volonté.

— Ne perds pas ton temps à utiliser cette faculté pour m’obliger à te tuer. Dieu m’a immunisé contre les pouvoirs des êtres magiques. Sinon, comment pourrais-je faire mon travail ?

Ne sachant plus que faire, Alexei se mit à boire le thé pour se réchauffer.

— J’aimerais que tu pries avec moi, suggéra Valéri. Dieu nous indiquera le chemin que nous devrons suivre.

— Mais il sera trop tard pour mes amis.

Sans avertissement, l’homme-loup bondit vers la porte et disparut dans la nuit.

— Monsieur Collin, il est temps que nous nous rendions nous aussi chez Tatiana, décida le vieux Russe.

— J’allais justement vous le proposer.

Les deux hommes allèrent s’habiller et quittèrent le village. Il faisait encore nuit lorsqu’ils arrivèrent chez les Kalinovsky, mais le soleil était sur le point de se lever. Tatiana ne cacha pas son étonnement lorsqu’elle leur ouvrit la porte.

— Ton petit frère n’est pas celui que je cherche, Tatiana, la rassura Valéri.

— C’est donc Desjardins que tu es venu punir…

— Je n’en sais rien. Je suis venu prier avec toi, si tu le veux bien.

Elle fit entrer son ancien prétendant, ainsi que le père Collin, et les conduisit dans le salon où Christian, Sylvain, Maryse, Danielle et Alexanne attendaient la suite des événements.

 

* * *

 

Pendant ce temps, Paul Richard rentrait chez lui. Tout le village était endormi. Il n’y avait de lumière nulle part. Il descendit de sa voiture et marcha vers sa maison. Dans l’obscurité, il buta contre quelque chose de mou. Croyant que c’était un sac de poubelle, il se pencha pour le ramasser.

— Mais c’est le sac à dos de Matthieu ! constata-t-il.

Il s’empressa de rentrer. Louise vint aussitôt à sa rencontre en attachant son peignoir.

— L’avez-vous eu ? se réjouit-elle.

— Non, il nous a trompés. Comment se fait-il que Matthieu soit rentré ? Je croyais qu’il avait des examens cette semaine.

— Mais il n’est pas ici, Paul.

Son mari lui tendit le sac à dos. Louise se sentit défaillir. Elle recula et s’assit sur le banc de l’entrée, tremblant de tous ses membres.

— Je vais appeler à Québec, déclara-t-il. As-tu la force de faire une petite valise pour toi et les filles ? Nous allons passer les prochains jours chez les Kalinovsky.

Elle hocha doucement la tête à l’affirmative, mais mit un moment avant de se relever. Paul s’empara du téléphone. Il n’eut pas le temps de composer quelque numéro que ce soit qu’il sonnait dans sa main.

— Paul, c’est Martin. Est-ce que Matthieu est chez toi ?

— J’allais justement t’appeler pour te demander s’il était à Québec !

— Il n’est pas rentré après l’école. J’ai pensé qu’il était peut-être sorti avec des copains, mais habituellement, quand il prévoit arriver tard, il m’appelle.

— As-tu tenté de le joindre sur son cellulaire ?

— Au moins cinquante fois.

— Je vais faire des recherches de mon côté. Je suis certain que ce n’est rien de sérieux.

— S’il finit par rentrer, je t’appelle.

— Merci, Martin.

Découragé par l’appel de son frère, Paul dut se faire violence pour demeurer calme. Avant de se mettre à la recherche de son aîné, il devait mettre le reste de sa famille à l’abri. Il alla donc porter le sac à dos de Matthieu dans le coffre de sa voiture, puis y ajouta les valises que Louise lui apporta quelques minutes plus tard. Les filles ayant refusé de se lever, elle les avait enveloppées dans leurs couvertures et transportées une à une jusque sur le siège arrière.

Les parents n’osèrent pas parler durant le trajet entre le village et la maison de Tatiana, au cas où Viviane et Magali les auraient entendus. Sur place, Paul monta ses filles jusqu’à la chambre qu’avait occupée Simon, puis redescendit dans le salon, où Louise était restée avec Tatiana et Christian pour leur résumer la situation. Tous les autres locataires de la maison dormaient.

— J’ai trouvé le sac à dos de Matthieu devant la porte, ajouta Paul. Ce n’est pas dans ses habitudes de le laisser dehors lorsqu’il rentre à Saint-juillet, même si nous sommes absents.

— Ce sac est-il resté chez vous ? demanda Christian.

— Non, je l’ai mis dans ma voiture.

Paul alla le chercher et laissa le policier l’examiner attentivement. Quant à elle, Tatiana le scruta avec ses propres sens.

— Il a été en contact avec un rôdeur, affirma la fée.

En fouillant à l’intérieur du sac, Christian trouva une note sur la couverture d’un livre.

— Vous n’allez pas aimer ça, soupira-t-il.

— Que dit-elle ? s’enquit Paul, qui s’attendait au pire.

— « Le démon ou l’innocent jeune homme. Choisissez. »

— Desjardins l’a fait enlever ? balbutia Louise.

— Nous n’avons pas pu l’attirer dans notre piège, alors il est temps que nous passions à l’offensive, annonça Christian.

— Je suis d’accord, l’appuya Paul. Allons chercher Matthieu avant qu’il ne lui fasse du mal.

Attiré par les voix dans le salon, Sylvain descendit l’escalier et se joignit au groupe. Quelques secondes plus tard, Mélissa Dalpé arrivait chez les Kalinovsky.

— Il serait vraiment utile que nous sachions où se trouve le Faucheur, fit remarquer Christian à la guérisseuse.

— Il est malheureusement plus facile de retrouver quelqu’un qui fait le bien.

— Il se cache dans la forteresse du jaguar, annonça Alexanne, à l’entrée du salon.

— Comment le sais-tu ? voulut vérifier sa tante.

— Les anges me l’ont écrit dans mon cahier.

— Allons-y ! lança le policier, qui ne désirait pas perdre de temps à comprendre comment ces fées obtenaient leurs renseignements.

Paul, Sylvain et Mélissa lui emboitèrent le pas. Ils grimpèrent tous dans le camion de Christian et foncèrent en direction de la montagne.

 

Le faucheur
titlepage.xhtml
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Robillard,Anne-[Ailes d'Alexanne-3]Le faucheur(2011).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html